La traversée des Vieilles Alpes avec Fred Horny

Une vieille histoire, un rêve, une chimère presque. La traversée de ces « vieilles Alpes », qui va nous conduire du bassin annécien jusqu’aux terres ocres du Luberon, m’échappe depuis plusieurs années. Souvent évoquée, mais toujours repoussée à cause d’un agenda récalcitrant. 2020 semble être la bonne !

Moins prestigieuse que sa plus jeune voisine, cette chaîne de montagnes va nous conduire à travers des territoires insoupçonnés. Les Bauges, qui ouvriront le bal, ont une réputation de montagne escarpée à faire pâlir tout bon montagnard. Dans l’histoire du dernier millénaire, certains considèrent d’ailleurs que ce massif, peu avenant de premier abord, est un « repère de bêtes sauvages ». Point positif tout de même, je l’attaquerais fort heureusement par son versant le plus avenant, au Nord.

 


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Vieilles Alpes me voilà !

En cette période de très forte chaleur de fin juillet, le TER m’abandonne au centre-ville d’Annecy. Le dernier Burger maison, partagé avec mon ami Michel venu me soutenir avant le grand départ, aura une saveur particulière. Ce goût de promesse d’énergie éternelle, de soutien psychologique dont j’aurais sans aucun doute besoin au long du parcours qui m’attend. Le chargement de mon vélo est optimisé, mon sac à dos équilibré. Le Jetboil côtoie le matériel de camping, quelques barres céréales et le minimum impératif.

Le temps de me rappeler mon engagement initial, à savoir toucher le moins de bitume possible, il est déjà temps de m’abandonner aux premiers coups de pédale sous un soleil de plomb. La grimpée du Semnoz s’annonce longue, elle sera finalement agréable à l’ombre des arbres. Les longs chemins blancs présentent une déclivité relativement clémente, j’en garde cependant sous la pédale. L’aventure s’annonce longue, on essaie de ne pas dépasser les 60% des capacités maximales.

Le passage au sommet conjuguera jolis sentiers et restaurants voire refuges de bord de route, pour certains plus réputés pour leur vue imprenable sur le magnifique côté Ouest du Mont Blanc que pour leur accueil, parfois perfectible il faut bien l’admettre. S’ensuit une longue et magnifique descente, à la fois roulante, avec un beau flow, et par endroits techniques et dans la pente, qui me dépose au petit village de Cusy.

 

 

À cet instant, la lumière tutoie plus le zénith que l’horizon. C’est le moment de faire le plein de vivres au petit marché local avant d’entamer la longue traversée forestière sillonnant entre Cusy et Saint Offenge. Chemin faisant, un fermier chez qui je me ravitaille en eau me propose le Pastis. Au prix d’un effort psychologique non négligeable, je décline l’offre. Le petit chalet abandonné que j’avais repéré un peu plus loin pour élire camp de base pour la nuit n’est plus si abandonné que ça. Tant pis, je poursuis jusqu’au chalet de la Plate et ses 400 derniers mètres de dénivelé positif.

La bute qui le surplombe du haut de ses 1355 m d’altitude va m’offrir les dernières lueurs d’un coucher de soleil inhabituel pour moi le reste de l’année, dans mon Val d’Isère d’adoption. Le repas se savoure, l’étoile sera belle. La sensation du devoir accompli me rattrape quand je réalise que même en ayant géré mon effort, je suis à bout de forces pour cette première journée.

 

 

Je ne me fais pas tant prier pour établir un couvre-feu dans les plus brefs délais.

 

 

Au petit matin, le café soluble a une saveur toute particulière, face aux Bauges que nous allons quitter peu à peu. La première descente jusque Saint François de Sales se réalise à toute vitesse grâce à de beaux singles lisses sur des pentes relativement clémentes. L’enchainement se poursuit sur le col de Doria, dont la descente s’annonce spectaculaire. Une mauvaise nouvelle m’attend à son sommet : la pratique du VTT y est interdite. Je contacte par téléphone mes « indics » locaux, qui me confirment que nos destriers ne sont effectivement pas bien vus sur cette partie de la carte.

Changement de programme, avec un peu d’adaptation, et un sentier alternatif va m’emmener au sud de Chambéry, en passant par le Mont Saint Michel (895 mètres). L’air, moins salin qu’en présence de son homonyme, m’offre une grande bouffée d’oxygène avant de basculer inexorablement vers la torpeur citadine de mi-journée.

 

 

À ce moment précis, je repense à la visite du Mont Saint Michel dans ma jeunesse, et la pensée d’une bonne omelette n’a pour seul mérite que de ma faire rêver et me ramener à nos instincts primaires (mange, bois, pédale.) Après quelques kilomètres à travers la ville qui vit débuter « le court bonheur de la vie » de Jean Jacques Rousseau, la longue ascension ensoleillée de la pointe de la Gorgeat (1485 m) m’attend de pied ferme. Par moments roulante, elle me mâte ensuite par de longs portages escarpés, glissants et piégeux. La descente sera tout bonnement fantastique, opulente de fluidité. Un régal.

D’Épernay, le GRP du Tour de la Chartreuse me dépose à Saint Pierre d’Entremont, petit village charmant s’il en est. La glace artisanale du café du village n’a d’égal que le sourire de ses habitants. Les prévisions météorologiques entrevoient un ciel électrisé dans les prochaines heures. Mon corps exige un peu de confort, le camping municipal m’offrira une nuit de rêve en mini yourte. Sage décision a fortiori, car au petit matin, mon Zesty, qui a dormi dehors, est d’un brillant éblouissant, lavé par une pluie qui n’a eu de cesse qu’au lever du jour.

 

 

Les jambes semblent bonnes, l’étape s’annonce dantesque. La première ascension, passant par le col de la Ruchère, m’offre 700 m de dénivelé, avant de basculer vers le célèbre village de Saint Pierre de Chartreuse.

Après être passé au pied de Petit Som, la longue ascension de Charmant Som (1867 m) se fera vélo sur le dos, accompagné par des traileurs en balade dominicale. Après 2 jours quasi solo, les rencontres se multiplient (enfin !) sur ce sentier plus fréquenté.

Quel bonheur d’échanger dans un endroit si majestueux !

 

 

Montfromage et Montvernet m’ouvrent une voie royale vers le Col de Porte, avant de revenir sur un sentier sans fin qui se jette dans St Egrève. M’attendant à quelque chose de plus escarpé, cafi de pierres et de roches, l’agréable surprise de me retrouver sur des traces plutôt roulantes me permet d’accroître le rythme en lucidité, tout en maintenant le plaisir à son paroxysme.

Une traversée rapide du Nord de Grenoble et nous voilà déjà à Sassenage. Le parc du château dessine directement un sentier qui ne nous quittera plus jusqu’à Saint Nizier du Moucherotte. Le parcours vita précède plusieurs fermes abandonnées.

 

 

La tempête grogne sur la Chartreuse au loin, je maintiens l’allure en espérant des jours meilleurs sur le versant vertacomicorien. Le long chemin blanc tracé par les localités sera un pur bonheur pour rejoindre en douceur un Villard de Lans grouillant de monde dans le respect des gestes barrières. On le sait trop peu, mais cette station respire vélo, ça se sent tout de suite. Le repas du soir, composé de légumes du potager par le restaurant La Glisse du Bois Barbu, sera l’occasion de confirmer cette passion du deux roues, et plus généralement de la montagne, qui anime les locaux par ici.

 

Au matin, Phil, qui m’a offert le gîte pour la nuit, me prépare son imbattable Omelette aux bananes, dans la perspective d’une journée tortueuse. « Rouler au soleil, tout l’monde sait faire ». Ce vieil adage est mis à l’épreuve par une pluie dès les premiers hectomètres du jour.

Impossibles à anticiper, les doigts gelés pointent le bout de leur nez après seulement quelques heures dans la brume. La canicule des jours passés a laissé place à une fraicheur surprenante. Le sentier technique du début va bientôt m’interdire de poursuivre sa trace : les portes de Parc Naturel Régional du Vercors dévient invariablement les pratiquants de tout autre moyen de locomotion que la marche vers la variante, un joli chemin blanc menant au col de Rousset.

Arrivé là, la fatigue commence à se faire sentir. Un dernier effort sur les magnifiques balcons du col de Chironne, et le col de Vassieux ouvre une longue descente technique qui se terminera à Die.

 

Lors de ce type d’expédition, les rencontres occupent une place de choix (à quoi servirait le voyage sinon ?). Ne sachant trop quoi faire arrivé en ville, je ressens la fatigue. La pluie ne lâchant toujours pas l’affaire, j’éprouve le besoin de me réchauffer à l’abri. Après quelques échanges avec des locaux, une fermière m’offre une chambre (et quelques fruits !) pour la nuit. Catherine est d’une sympathie sans équivoque. Elle me guide jusque mon point de chute sur son VTTAE flambant. Bien m’en prend d’avoir choisi ce cocon, la tempête fait à nouveau rage jusqu’au petit matin.

 

 

Un grand café, une viennoiserie au village et c’est reparti. Le soleil déchire enfin ce manteau de nuages, réchauffant quelque peu l’esprit ventilé d’une bise tenace.

La montée de la croix de Justin m’emmène sur de magnifiques hauts plateaux, que je vais longer toute la matinée sur un singletrack à flanc de montagne. Plusieurs orientations géographiques s’offrent à moi, je prends la direction de Saint Benoit en Diois. Le sentier de la montagne de Faraud me permet d’éviter des gorges qui me semblent peu avenantes sur la carte. La vallée de la Roanne propose des parties boisées, techniques par endroits. Le temps de faire le plein d’eau, il n’est que début d’après-midi, et la perspective d’arriver proche de Buis les Baronnies se précise.

Le corps va bien, la chaleur bat désormais son plein, je suis sans doute inconsciemment excité de rejoindre Antoine à Forcalquier d’ici deux jours : cela fait maintenant 5 journées à enchainer quotidiennement des étapes de 80 – 110 km et jusque 5000 m D+, la fatigue psychologique s’installe inévitablement. Mais le ride et les sensations sont bons ! La France regorge de paysages à couper le souffle et encore très sauvages.

J’y suis actuellement corps et âme, tant les personnes rencontrées sur cette partie du tracé se comptent sur les doigts des deux mains. Quelques petites erreurs de cartographie viennent à peine perturber cette excellente journée et m’emmener sur de beaux sentiers qui m’écartent toutefois légèrement de mon timing espéré.

 

 

Un joli chemin blanc me conduit à la dernière bascule du jour, aux Montagnes des Plates. Rocailleuse, la dernière descente est la plus technique du jour. Avec 120 km et 4000 m D+ dans les pattes, il ne s’agit pas de se démunir. Mes erreurs de cartographie précédentes auraient dû me servir d’alerte, avec mon habitude de m’attacher à ces petits signaux que le cerveau envoie inexorablement. Sur une partie raide que j’avalerais sans doute dans mon entraînement quotidien, j’oublie que mon chargement n’est pas aussi léger que d’habitude. Tente au guidon (800g) et sac de 6 kg apportent forcément une inertie piégeuse quand le dynamisme est vital. En quelques secondes, c’est la chute. Carrosserie rayée, je n’en veux qu’à moi-même. Mais les côtes flottantes tirent, à tel point que marcher me semble pénible. Pharmacie à Buis-les-Baronnies.

 

La nuit portera conseil. Mais voilà, le camping municipal est complet. La patronne et son mari m’octroient très gentiment une place non loin de leur roulotte. Monter la tente n’est alors pas exactement une partie de plaisir, et des vététistes campeurs de passage m’apportent aide et bière fraîche. Les rencontres, une fois de plus… Venus de Lille pour un mois de vacances sportives dans ce coin de paradis, c’est un réel plaisir d’échanger avec eux.

Au réveil, je me résigne à abandonner la fin de la traversée, repoussée à octobre. Se préserver est essentiel pour les prochaines échéances qui m’attendent. Il ne me reste qu’à pédaler 70 km jusqu’à la gare d’Orange.

Billet simple pour Bourg-Saint-Maurice. A tout vite les Baronnies, nous avons une histoire à terminer ensemble !

Fred