Hors de mon monde, Pensées d’un cerveau abîmé – Chapitre 1

Je n’ai aucunement la prétention de vous présenter ici la vérité absolue. Ce ne sont que des idées et des réflexions qui me sont venues ces derniers mois, suite à des remarques ou questions concernant mon traumatisme crânien. Souvent, des phrases et des idées apparaissent dans ma tête, mais mon cerveau n’est pas assez fort pour les exprimer. Heureusement, parfois, je suis capable de les écrire ou de les dicter, et certaines de ces occasions ont abouti en des chapitres de “Hors de mon monde”. J’espère que vous apprécierez la lecture et que les pensées d’un cerveau abîmé vous donneront à réfléchir.

Lorraine

 


Temps de lecture estimé : 6 minutes



Le vélo était mon monde.

Mon monde en tant que pilote en coupe du monde, d’abord en Cross-country, puis en Enduro et DH. Mon monde en tant qu’ingénieur, à essayer de comprendre de quoi sont fait les bons vélos, et comment les rendre encore plus rapides et plus ludiques à rouler.

Mon monde en tant qu’athlète, à entraîner mon corps, jour après jour, tout en essayant de comprendre sa biomécanique et physiologie.

Aujourd’hui le vélo ne peut plus être mon monde. Mon cerveau ne le permet plus.

Aujourd’hui, je suis hors de mon monde.

 

 

Tu ne portais pas de casque ?

J’ai dû entendre cette question une dizaine de fois en centre de réadaptation, alors que j’expliquais ce qui m’amenait en ce lieu. Bien sur que je portais un casque. Un casque intégral même, si vous voulez tout savoir. Et vu son état après la chute, il m’a peut-être sauvé la vie. Mais bien que le casque protège efficacement le crâne des impacts directs, et qu’il permette la dissipation d’une partie de l’énergie lors des chocs, il ne peut complètement protéger votre cerveau.

Laissez moi vous embarquer dans une petite expérience :

  1. Prenez une balle de tennis et mettez la dans une boîte en carton, un peu plus grande que la balle elle-même (une boite à biscuit sera parfaite, n’oubliez pas de manger les biscuits avant).
  2. Enveloppez la boîte avec autant de papier bulle que vous pouvez, afin qu’elle soit bien protégée. [Du scotch pourra vous être utile lors de cette étape; si vous n’en avez pas, je vous conseille de démonter vos jantes tubeless et d’utiliser le tape étanche.]
  3. Jetez le tout contre un mur (en évitant votre belle collection de chatons en porcelaine).

Résultats : Bien que la boîte en carton soit en parfait état, vous avez pu entendre la balle frapper l’intérieur de la boites.

Le même type de situation peut se produire entre notre cerveau et notre crâne. Notre matière grise n’est pas dure comme une balle de tennis, mais représente une masse malléable et molle. Ainsi, même si notre cerveau ne dispose que de peu de place dans la boîte crânienne, il peut néanmoins se déformer à l’intérieur de cette dernière. Lorsque l’on tombe sur la tête, le cerveau va ainsi s’écraser dans le crâne et taper contre ses parois. De plus, en raison de sa souplesse, la collision ne va pas seulement endommager la surface du cerveau – comme c’est le cas avec notre balle de tennis – mais peut créer des lésions bien plus en profondeur.

En réalité, il n’y a même pas besoin d’un choc pour que ce phénomène ait lieu. Une très rapide accélération ou décélération de la tête suffit à le créer. Toutefois, être stoppé par le sol, un arbre, ou tout autre objet massif – à l’instar d’un derrière d’éléphant – est probablement la manière la plus simple de créer une forte décélération (une étude est actuellement en cours pour savoir si le pet d’éléphant pourrait être une solution amortir le choc en formant un coussin d’air).

Lors du choc, le cerveau est donc cisaillé, ce qui crée de fortes déformations des tissus. Et comme les neurones humains ne sont pas faits pour supporter de telles altérations, ils souffrent. Des saignements ou gonflements peuvent aussi apparaître. C’est ce que l’on appelle une commotion ou une lésion cérébrale.

 

Quelle est donc la morale de cette histoire ?

  • Portez un casque !! Votre crâne est une super boite à biscuits et vous ne voulez pas l’endommager.
  • Choisissez un casque léger : En diminuant la masse au dessus de votre cou, vous diminuez l’énergie de l’impact. Vous aurez également un meilleur contrôle des mouvements de votre tête. Attention, je ne veux pas dire par là qu’il faut choisir un casque minimaliste. Mais entre deux bons modèles, le plus léger et probablement le meilleur choix.
  • Ne portez jamais un casque trop grand pour vous. Cela revient à protéger votre boite de biscuit en la mettant dans un boite de chaussures (taille adulte). Cela ne sera pas très efficace, sauf si l’espace entre les deux est rempli de pop-corn.
  • Entraînez votre nuque. Développer les muscles du cou permet de passer d’une situation à deux masses séparées (corps-tête), à celle d’une masse (corps+tête). Cela peut permettre de diminuer les effets d’accélération/décélération du crâne lors d’une chute, et vous permettra peut-être également de mieux contrôler la position de votre tête lorsque les choses sont un peu hors de contrôle.
  • Ne présumez jamais que le port du casque protégera votre cerveau en toute situation !!

Ces dernières années, des statistiques ont montré que les boxeurs amateurs (qui portent des casques) reçoivent plus de coups à la tête que les professionnels (sans casques), et sont donc plus susceptibles aux commotions. Cela pourrait être dû au fait que, se sentant protégés, ils ne prennent pas autant de précautions pour défendre leur visage. De la même manière, lorsque je regarde mon propre historique de chutes, il semble que je sois tombée sur la tête bien plus souvent lorsque je portais un casque intégral. Bien sûr, cela pourrait être dû au fait que je mettais mon intégral lorsque les risques de chute étaient plus importants. Pourtant, je ne chutais pas moins en « petit casque » (oh non..). Je chutais différemment. Cela pourrait également dépendre de la différence de poids entre mes deux casques. Pour un pilote de poche comme moi, il est relativement difficile de contrôler la masse supplémentaire que représente un gros casque. Mais je pense aussi qu’inconsciemment, me sentant protégée, mes réflexes n’étaient pas d’éviter que mon visage, et donc ma tête, ne touche le sol, mais de me laisser simplement tomber, parfois tête la première.

Il est évident que contrôler ce qu’il se passe lors d’une chute est souvent impossible. Je n’ai nullement la prétention de dire que ce petit texte est la solution pour éviter les commotions. Mais j’espère que ces quelques mots trouveront un chemin vers votre subconscient et qu’ils lui feront réaliser qu’aucun casque ne peut vraiment protéger votre cerveau. Gardez cela à l’esprit, qui sait, cela pourrait faire une différence !

Lorraine

> www.lorrainetruong.ch

  1. Commentaire très pertinent qui reflète bien la fragilité de notre corps que l’on expose à des risques, qui dans l’absolus peuvent être mortels. Je te souhaite beaucoup de courage et continu de nous écrire sur ton expérience de pilote, car même si nous pratiquons depuis longtemps le retour, le vécu , le partage de ton expérience peu nous éviter biens des soucis.

  2. Smart & Fun Lorraine, un tel esprit se doit de nous revenir au plus vite !

    Je partage ton analyse sur le poids du casque pour les petits gabarits (j’en fait partie aussi), et le moment des forces décuplé si il est trop large (ou trop « long »). Je me demandais aussi si le fait de couvrir les oreilles et de réduire le champ de vision pouvait perturber notre sens de l’équilibre, ou si certaines personnes y était plus sensibles que d’autres (comme certaines personnes sont plus sensibles au mal des transports que d’autres). Peut-être une question d’habitude.

  3. Merci pour ce très bon article et expliqué de manière ludique.
    Après il est vrai qu’on prend plus de risques avec un intégral mais le principal n’est pas d’être protégé même si c’est important.
    Le plus important est de ne pas chuter (dans la mesure du possible).
    Je ne suis pas de cette école qui dit que les chutes sont des marques de progression.
    Surtout quand tu rides depuis longtemps (mon cas à 45 ans et 10 ans de ride en VTT) tu cicatrises et chutes moins bien…
    Après il faut peser le pour et le contre entre la prise de risque et la progression…
    De toute manière continue à écrire ton style est agréable et bon courage!

  4. Très bon article, merci de nous faire partager tes expériences.
    Pour ma part, j’ai tendance à pas mal chuter, en vélo comme en moto et à de très nombreuses occasion j’ai eu tendance à me souvenir de base du judo en cherchant plus à réduire l’impact direct en le remplaçant par des roulades.
    Sur le coup c’est plus inquiétant pour les potes et ça fait même parfois rire mais je trouve cela efficace.

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