L’analyse vidéo #2 – Le flow des pros

Il est toujours très difficile de trouver les bons mots pour parler du « flow ». Une notion si abstraite pour certains, si subjective pour d’autres, quelle méritait bien une analyse vidéo. Il en est un qui, à l’orée de sa retraite sportive, s’y est essayé, avec succès…

« Le flow est l’allure idéale qui convienne à un sentier. Celle qui offre la meilleure dynamique. Tu es sur ton vélo, relax, à ton propre rythme. Tu conserves simplement la vitesse. Tout semble facile, les roues prennent appuis juste aux bons endroits pour t’équilibrer et t’aider à changer de direction. Cette sensation unique vaut de l’or… »

Fabien Barel, octobre 2015

 

Pour L’analyse vidéo deuxième du nom, c’est donc sur l’illustration de ces propos, l’étude des gestes et attitudes qui y participent, que s’est penché Endurotribe.

 

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Grossir le trait, affiner l’analyse vidéo…

Lorsque l’enjeu, le stress, la fatigue et la précipitation de la compétition entrent en jeu, ces paramètres faussent parfois une partie du plaisir, ou valorisent d’autant plus les sensations uniques que procure l’exercice. Révélatrice, la compétition grossit le trait, et affine l’analyse. 

C’est donc une fois de plus sur des images des World Enduro Series et de ses pilotes phares que s’appuie L’Analyse Vidéo du moment. Nous sommes à Finale Ligure, dernier jour de compétition d’une longue et usante saison 2015. Première spéciale du jour, la plus longue du week-end, 11min 40s pour les meilleurs.

La séquence se situe sur la partie haute du tracé. Le sous-bois s’éclaircit un peu à l’abord de ce début de ravine qui, plus bas, donne naissance à un talweg où l’eau de ruissellement poursuit son oeuvre. La trace serpente et traverse à plusieurs reprises ce goulet, jouant des mouvements de terrain pour composer une partition particulièrement variée. Les appuis sont tour à tour relevés, plats, déversants… Il faut sans cesse composer avec une trace qui plonge au fond d’une compression avant d’en ressortir. Et lorsque le tracé emprunte la ligne de plus forte pente et génère de la vitesse, c’est pour mieux replonger et continuer à tricoter entre les arbres.

 

 

Jérôme Clémentz – L’engagé Appliqué

Jérôme n’est pas le plus rapide de cette séquence, mais peut-être le plus appliqué. Etre régulier et commettre le moins d’erreur, sont parmi les clés pour être bien placé en Enduro.

Il fait ici particulièrement usage d’un des traits les plus évidents de son style de pilotage : Jey roule les épaules vers l’avant, à l’aplomb du cintre. Ce sont elles, lorsqu’il s’agit de générer de la vitesse, qui s’engagent en premier et entraînent le reste. Il n’y a qu’à voir comment, dans ce goulet traversé à trois reprises, elles initient le plongeon et génèrent la vitesse qui permet naturellement de remonter en face.

Jey fait oeuvre d’un équilibre et d’une coordination de premier plan, puisqu’à cette occasion, il se permet, tour à tour, de relancer, changer de pied ou encore ajuster l’assiette du vélo à la pente rencontrée.

Dans ce cas de figure, le travail de stabilisation des bras et des jambes a son importance. C’est lui qui conditionne l’instant et l’intensité avec laquelle les roues prennent appuis pour changer de direction. C’est aussi ce qui explique le temps mort en sortie de la courbe fuyante où Jérôme, voulant assurer le coup en sortant le pied, brise le flow et met quelques instants à reprendre le rythme…

 

 

Yoann Barelli – Le roublard

Celui qui était le plus en vu de la précédente analyse vidéo fait une fois de plus oeuvre d’un style qui lui ouvre les portes d’une étude de cas !

Sur le principe, l’attitude et les solutions mises en oeuvre par Yoann sont proches de ce que Jérôme a pu démontrer. À y regarder de plus près, une différence fondamentale apparaît pourtant : Yoann met davantage à profit la flexion de ses jambes pour toucher le terrain. C’est ce qui lui procure une vitesse supplémentaire, puisqu’il « finit » le job au fond des compressions, quand la roue arrière a encore quelques centimètres à parcourir dans la pente avant d’atteinte le fond.

Il met également à profit cette aptitude en sens inverse, pour hisser la roue au sommet des bords du goulet avant de poser l’appui et initier les courbes. Enfin, c’est ce qui génère les quelques décollements de roue arrière, signe que Yoann cherche à placer le vélo et initier ou finir les courbes en décalant cet appui au sol.

Au passage, la dernière enfilade entre les arbres, après relance, est toute aussi intéressante : engagé sur une alternance de coups de pédale qui l’aurait menée à marquer la courbe gauche en appui sur le mauvais pied (intérieur), Yoann débute le coup suivant (pied droit) et l’arrête à mi-hauteur. Un décalage suffisant pour s’engager dans la courbe, avant un très léger rétro-pédalage pour poser l’appui pied gauche et mettre l’angle nécessaire à la courbe droite…

 

 

Fabien Barel – Au summum

Dans sa définition du Flow, Fabien place lui-même le rythme comme une clé de la réussite. Il en fait un élément qui doit s’accorder avec les exigences du terrain pour être au summum du possible.

Son passage est l’illustration parfaite de ce propos : la vitesse à laquelle il déclenche et effectue ses gestes démontre une toute autre attitude que celles de Yoann et Jérôme. Fabien est plus incisif et impulsif. Démonstration de l’intention du jour : tout donner pour ne pas regretter d’en avoir gardé sous le pied en ce jour de fin de carrière.

S’il y met particulièrement du cœur, on note cependant qu’à certains moments, cet engagement génère davantage de contrainte sur le vélo – dont les suspensions compensent certains appuis très (trop ?) marqués – et davantage de variation de pression au sol. Qui dit variation, dit besoin de gestion supplémentaire. C’est ce qui, à un moment donné, le pousser à déraper pour rattraper une trajectoire mal engagée.

À l’occasion de ce geste, on peut également noter une posture toute autre sur le vélo : Fabien est à l’arrière de sa monture, le buste relevé qui nécessite un cintre au rise particulièrement prononcé.

 

 

Nicolas Vouilloz – L’intelligence de course

Lorsqu’il s’agit de rythme et de flow, nul doute que Nicolas Vouilloz fasse parti du lot, et se détache particulièrement.

Autant Fabien peut être impulsif, autant Nicolas est celui dont la finesse n’a pas d’égal ! Le relâchement dont ses bras et jambes font preuve est remarquable. Il est celui qui, plus que tout autre, sait laisser rouler le vélo sans s’y agripper. À aucun moment, Nicolas semble contraindre sa monture dans une gestuelle contre nature.

Au contact avec le sol, les pneus ne tarissent jamais une limite d’adhérence, ou un décrochage imminent. Seul un léger décalage en dérapage à l’entrée de la courbe déversante rompt le silence. Un décalage parfaitement maîtrise qui ne brise pas la vitesse et permet une sortie de courbe rapide et facilite une relance qui en devient moins coûteuse.

Une progression constante, continue, sans aucun temps mort. Si, chronométriquement parlant, le résultat est proche de son prédécesseur, nul doute que la dépense énergétique soit bien en sa faveur. Illustration parfaite de l’intelligence de course que l’on connait au personnage. Du grand Nicolas Vouilloz. Une des explications possibles au fait que sur cette spéciale – la plus longue du week-end – il signe le scratch…

 

 

François Bailly-Maitre – Grandeur et décadence

Lorsqu’il s’agit de Flow, comment ne pas parler des roues de 29, et de leurs effets ?! François et son BMC TrailFox livrent leurs secrets. Après avoir vu 4 passages de 27,5 pouces, ce passage en 29 révèle tout de suite une différence « de taille » ! L’inertie des grandes roues saute aux yeux.

À la première relance, François fait oeuvre d’une dépense d’énergie remarquable. Pourtant, l’impression est différente : la relance se fait sur 2 gros coups de pédale, là où celle des autres se fait sur 3 coups véloces. La conversion en vitesse semble plus progressive, lissée dans le temps, prenant véritablement effet sur la fin du geste.

Sur les mouvements suivants, le vélo semble lisser le terrain. Les obstacles paraissent offrir un dénivelé moindre. François peut donc fournir des gestes d’amplitude plus réduite. Dans le même temps, la vitesse du vélo, désormais importante, n’est pas perturbée par les ondulations au sol. Elle ne subit pas les variations d’appuis qu’offre le terrain.

Dans la première courbe déversante, l’adhérence n’est pas un problème. Sa constance et sa fiabilité sont sans équivalents. François prépare sereinement sa plongée dans le goulet. Là, le vélo avale les compressions et lisse un passage dans lequel ses prédécesseurs ont pu butter.

la dernière courbe avant la relance est la démonstration même de l’apport d’un 29 : alors que François sort le pied pour assurer la petite racine glissante qui se cache au pied de l’arbre, l’adhérence et la vitesse du vélo n’ont que faire de ce mouvement parasite. La vitesse se conserve excellemment bien, ce qui lui permet de débuter la relance avec un avantage certain.

 

 

Martin Maes – Forcer le destin ?!

La précédente analyse vidéo l’avait déjà laissé entrevoir, celle-ci permet d’en comprendre plus : décodage du style atypique du jeune prodige Martin Maes…

C’est en comparant ce passage à celui de Nicolas Vouilloz, que certains points communs sautent au yeux. En premier lieu, la stabilité du tronc, le travail des bras et jambes. Comme son aîné de 20 ans (!) Martin fait preuve d’une capacité folle à insuffler de la vitesse au vélo, puis à lui laisser suffisamment de liberté pour la conserver.

Les mouvements de terrain ne semblent pas atteindre son bassin et sa ligne d’épaule. Quoi que le sol propose, les bras et jambes travaillent l’amorti tandis que le regard est déjà porté vers les mètres suivants. La vitesse semble un ton au dessus, au point qu’il ne faille pas travailler plus que de raison avec ce que le sol propose pour générer l’élan.

Outre ce parallèle flatteur avec Nicolas, Martin modernise ce style que beaucoup pensent unique. Les épaules viennent à l’aplomb du cintre en une circonstance particulière : à la relance. À cet instant, on distingue clairement la fougue et l’audace du jeune qui en veut. Puissants, coordonnés, ses mouvements écrasent les pédales et le propulse sans commune mesure. Il ne faut qu’une approximation dans la courbe déversante pour qu’il n’atomise pas tout le monde d’un nouveau secteur chrono ahurissant.

 

 

Damien Oton – Tout sauf un hasard…

Discret cette saison à cause d’une cheville meurtrie en Écosse, Damien Oton n’en reste pas moins l’un des plus talentueux du plateau. On n’est pas vice Champion du Monde par hasard… Pour ceux qui en douteraient encore, démonstration !

Dès le début du secteur, sa vitesse d’entrée parait plus importante que les autres. Comme s’il l’avait mieux conservé dans l’appui de la première courbe droite en vue. À la relance, il se groupe sur le vélo. Il ne dépense pas d’énergie à développer une vitesse verticale pour survoler l’obstacle, il laisse remonter le vélo tout en engageant ce qu’il peut dans une vitesse horizontale plus prolifique.

Sur les différents mouvements de terrain, son geste est la combinaison parfaite d’un Jey Clementz et d’un Yoann Barelli : les épaules engagent autant en début d’obstacle que les jambes terminent le travail en fin de compression. C’est aussi bien le cas lorsque la pente globale descend, que lorsqu’elle monte.

Une aptitude qui conditionne sa manière d’aborder les courbes en dévers, les deux dernières très difficiles notamment. Nose-turn pour décaler la roue arrière sur la première, une créativité sans égale au sein de cette analyse vidéo !

Et que dire de la vitesse de sortie de la dernière courbe ? Damien est le seul à en avoir tiré parti pour générer de la vitesse. Un avantage qui lui permet de passer la petite remontée sur l’élan et surtout, d’être le seul – avec Martin Maes – en mesure de passer le dernier pif-paf entre les arbres dans un style presque irréprochable : pied extérieur en bas, bras intérieur qui conditionne l’appui roue avant, et changement de pied d’appuis en pédalant vers l’avant, réduisant ainsi fortement le risque de dérailler… Du grand art !

 

 

En bonus – Les meilleurs passages à vitesse réelle

En vous épargnant cette fois-ci la chute des arbres morts – fragilisés par la tempête de la veille – entre deux pilotes, les passages à vitesse réelle…